Mécanisme de la mémoire traumatique
- stephtherapie
- 19 août 2021
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 30 nov. 2021

Notre mémoire autobiographique, que Boris Cyrulnik appelle la mémoire saine, est une mémoire évolutive c’est à dire qu’elle change selon les contextes et l’âge. C'est notre réserve de souvenirs qui s'enrichie chaque jour.
La mémoire traumatique, quand à elle, est une mémoire non intégrée dans la mémoire autobiographique. Elle est piégée dans une structure du cerveau (l'Amygdale cérébrale) et n'est pas directement accessible à notre conscience.
Cette mémoire traumatique est issue du vécu d'un évènement violent (unique ou répété) et peut refaire surface lors de moments évoquant, de près ou de loin, le contexte de cet évènement.
Le rôle de l'Amygdale cérébrale
Pour comprendre le processus de constitution de la mémoire traumatique, il est nécessaire de comprendre le mécanisme que le cerveau opère lorsque nous percevons une notion de danger imminent.
Tout d'abord, notre nerf optique va envoyer l'information de ce que l'on a perçu à notre amygdale cérébrale.

L’amygdale cérébrale joue le rôle d’alarme qui s’allume automatiquement lors d’une situation de menace (auditive, visuelle, sensitive, émotionnelle) avant même que celle-ci soit identifiée par les fonctions supérieures du cerveau.
Cette alarme a pour fonction de nous préparer à parer au danger en lui faisant face ou en fuyant.
Pour préparer l'organisme à faire face au danger, elle envoie des hormones de stress (adrénaline et cortisol) qui vont mobiliser le corps :
- accélération cardiaque
- augmentation de la pression artérielle pour amener plus de sang aux muscles
- accélération de la respiration pour plus d’oxygénation etc…
C’est une réaction naturelle. Ainsi nous avons plus de ressources pour fuir ou se défendre.
La suite de ce parcours se fait au niveau du cortex cérébral et de l'hippocampe (qui est l'endroit où se situe le système d'exploitation de la mémoire et de l'apprentissage). Ces deux parties du cerveau se chargeront d'arrêter l'alarme émise par l'amygdale cérébrale s'ils identifient l'image du danger et que celui-ci n'est pas...si dangereux !
Mais dans le cas d'une situation où le danger est réel et non identifié par les souvenirs de notre mémoire autobiographique, l'alarme émise par l'amygdale cérébrale va continuer d'hurler et d'envoyer des doses excessives d'hormones de stress.
Lors d'une agression, la victime peut être empêchée de fuir ou de se défendre donc cette production d’hormones augmente sans cesse et fini par mettre l’organisme en danger de mort. (l’adrénaline envoyée à outrance expose à des risques cardiovasculaires vitaux et le cortisol à haute dose est neuro-toxique).
Alors, comme ferait un circuit électrique en survoltage pour protéger les appareils électriques, le cerveau va faire disjoncter le circuit émotionnel en envoyant des neuro transmetteurs (morphine-like, kétamine-like, endorphines…) qui vont l’anesthésier et isoler l’amygdale cérébrale du reste du cerveau.
L’amygdale cérébrale, isolée, éteint la réponse émotionnelle. C’est ainsi que la victime se sent coupée de son stress, sa peur et se retrouve figée, ailleurs, en état de sidération.
Comme l’amygdale est isolée et déconnectée du cortex cérébral, la victime a l’impression d’être en dehors de son corps et d’être spectatrice de ce qui se passe. Elle accède ainsi à l’état de dissociation traumatique.
« Cette dissociation rend très difficile, voire impossible, toute opposition ou défense mentale et physique vis-à-vis de violences, qui sont exercées contre elle : les paroles assassines, les coups, les humiliations ne rencontrent aucune résistance. Cela rend la victime très vulnérable à l'agresseur, qui peut exercer une emprise totale sur elle » Muriel Salmona, psychiatre, fondatrice et présidente de l'association Mémoire traumatique et victimologie.
La mémoire traumatique et ses manifestations
L’amygdale cérébrale, qui est toujours isolée durant l'agression, ne communique plus avec l’hippocampe qui gère, je le rappelle, la mémoire et les repères spatio-temporels. Sans cette connexion aucun souvenir ne peut être mémorisé, ni remémoré, ni temporalisé.
La mémoire sensorielle des violences se trouve alors piégée dans l’amygdale cérébrale et ne peut être traitée et transformée en mémoire autobiographique.
C’est ce qu’on appelle la mémoire traumatique.
« La mémoire traumatique va rester hors temps, non-consciente, à l'identique, susceptible d'envahir le champ de la conscience et de faire revivre la scène violente de façon hallucinatoire, comme une machine à remonter le temps, avec les mêmes sensations, les mêmes douleurs, les mêmes phrases entendues, les mêmes odeurs, les mêmes sentiments de détresse et de terreur (ce sont les flashbacks, les réminiscences, les cauchemars, les attaques de panique...) »
Muriel Salmona, psychiatre, fondatrice et présidente de l'association Mémoire traumatique et victimologie.
La mémoire traumatique se réveille souvent, sous forme de flashes, lorsque la victime ne se sent plus en insécurité. Parce qu’elle n’est plus en contact avec son agresseur par exemple. De nombreuses victimes d’inceste arrivent à se maintenir durant la période des sévices et craquent lorsqu’elles ne sont plus en contact avec la personne incestueuse ou que celle-ci est décédée. C’est souvent à ce moment qu’elles explosent.
Cette mémoire traumatique peut perdurer durant des années si elle n’est pas traitée.
La victime passera par des épisodes dissociatifs lorsqu’elle rencontrera des stimuli lui évoquant son traumatisme (odeurs, sons, paroles...). Son cerveau opérera alors le même mécanisme de disjonction et de dissociation.
Comment traiter la mémoire traumatique ?
Les victimes piégées dans leur mémoire traumatique ont beaucoup de mal à trouver de l’aide. Simplement parce que la dissociation traumatique va rendre leur récit décousu, elles auront continuellement des doutes sur ce qui s'est passé avec un sentiment d'irréalité.
De nombreux épisodes seront frappés d'amnésie et, du fait de la déconnection avec l'hippocampe et elles auront beaucoup de mal à se retrouver dans les repérages spatio-temporels (les dates et lieux où se sont produites les violences).
Plus leur interlocuteur sera incrédule ou agacé par ces manques de précisions plus les victimes seront dissociées et perdues.
Pour que la victime puisse se réassocier et parvienne à raconter son traumatisme sans revivre celui-ci à l’identique, il lui faut un interlocuteur qui lui apporte un sentiment de sécurité, d’écoute neutre et inconditionnelle.
La psychothérapie doit viser à donner du sens.
Tout symptôme (cauchemar, comportement) doit être analysé pour être relié à son origine.
Le travail psychothérapique consiste à faire des liens, en réintroduisant des représentations mentales pour chaque manifestation de la mémoire traumatique ce qui va permettre de réparer et de rétablir les connexions neurologiques qui ont subi des atteintes.
Il faut arriver à ce que la victime intègre : Cette voix qui dit que tu es mauvaise, ce n’est pas la tienne mais celle de l’agresseur, cette douleur que tu ressens c’est celle que l’agresseur t’a infligée, cette terreur du noir c’est celle de l’endroit dans lequel tu étais, cette odeur…etc…
Pour accéder aux souvenirs traumatiques on s’aidera de l’hypnose ou de l’EMDR par exemple.
Un apport médicamenteux (notamment des bêtabloquants qui diminuent la production d’adrénaline et de cortisol et évitent les allumages de la mémoire traumatique) pourra être nécessaire dans certains cas.
En résumé, le but du thérapeute va être de transformer le souvenir traumatique en souvenir autobiographique. Il restera un mauvais souvenir mais un souvenir sur lequel le patient aura le contrôle. La thérapie permettra au patient de se débarrasser de ce sentiment de culpabilité qui est commun à toutes victimes de sévices du fait de leur état de sidération et de dissociation au moment des faits.

Si vous souhaitez en savoir plus sur ce mécanisme complexe et écouter les témoignages de personnes qui ont été piégées par leur mémoire traumatique, je vous conseille vivement d'écouter l'excellent podcast de Charlotte Pudlowski, grâce au lien ci-dessous :
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